Drôle de titre pour parler du continent sémiotico-langagier. C'est parce que Xavier Giannoli en donne une illustration étonnante et saisissante. Dans une série de films, Superstar (2012), L’ Apparition (2018) et Les illusions perdues (2021), Giannoli évoque l’exacerbation par le journalisme et les réseaux sociaux de la rumeur. Cet aspect est montré avec d’autant plus de force qu’il est, dans les cas présentés, sans contenu. Dans Superstar, une énorme rumeur se développe autour du héros à partir de rien, dans L’ Apparition, elle est motivée par une apparition miraculeuse douteuse et, dans Les illusions perdues, elle est créée de toute pièce à des fins publicitaires. Xavier Giannoli montre l'intense mobilisation sociale générée par ces rumeurs sans fondement.

Quand elle a un contenu, on désigne cette rumeur par celui-ci et l’on dit, c’est une idéologie, un mythe, de la propagande politique, des informations journalistiques, de la publicité. Mais ce faisant, on néglige que cette dimension discursive et imagée existe par elle-même avec une grande force. Elle s’intègre à la culture au sens large (normes, règles, langage, lois, idéologie, imaginaire, arts, sciences et techniques) qui, elle-même, permet l’interaction collective, l’échange et, par voie de conséquence, la socialisation. On peut aussi dire comme François Rastier que le sémiotique « est une part essentielle de l’environnement humain en quelque sorte un milieu » (Rastier François, Faire sens De la cognition à la culture, Paris, Classiques Garnier, 2018, p. 29.).

L'Homme vit entouré d'un environnement sémiotique qu’il fabrique individuellement et collectivement. Cette activité produit et se nourrit intensément de récits de toutes sortes : mythes, légendes, religions, idéologies, propagandes, fictions imaginatives, faits-divers, etc. Les moyens de communication habituels, le langage parlé ou écrit, les images fixes ou animées, la musique, sont utilisés pour créer cet environnement sémiotique. C’est l’un des fondements du social, car le lien social dépend de cet espace sémiotico-culturel omniprésent. L’Homme vit avec, dans et au travers de ce monde fictionnel par lequel il bâtit une vie sociale, qui elle-même s’en nourrit. Ce monde sémiotique ruse avec les contraintes de la réalité concrète et la transforme, si bien que la séparation devient souvent impossible. Xavier Giannoli en illustre avec brio un aspect particulier, le déchaînement de la rumeur par l’industrialisation des médias (de l’imprimerie en continu jusqu’à l’internet).

Dans ce vaste maelstrom sémiotique, l’idéologie et la propagande tiennent une place importante. Aldous Huxley et surtout George Orwell en ont dénoncé les formes perverses. Ce dernier, dans La ferme des animaux et dans son livre majeur 1984, a dénoncé l’utilisation massive du mensonge, de la fausse nouvelle, de la falsification de l’histoire et des slogans contradictoires qui inhibent la pensée. En particulier, il a noté l’utilisation de l’injonction à ne pas croire l’expérience, ce que l’on constate, mais ce qui est décrit par l’idéologie. Les propagandes stalinienne, hitlérienne, maoïste, poutinienne, trumpienne, jinpinienne, etc., procèdent toutes selon ces procédés qui manipulent efficacement une bonne partie de la population, celle qui n’a pas les outils pour s’en prémunir. Mais fondamentalement, si c’est possible, c’est parce que l’humanité est immergée dans un bain sémiotico-langagier.