Revue philosophique

Sur cette gravure de 1566, on voit des hommes cherchant, au milieu d'une foule d'objets hétéroclites, la lanterne qui les éclairera. L'un d'eux l'ayant trouvée enjambe sans s'y intéresser le globe terrestre et un autre la garde précieusement tout en restant caché dans un tonneau. D'autres personnages se disputent sottement une couverture.

C'est un commentaire, en image du plus connu des principes philosophiques Gnothi seauton (Connais-toi toi-même). C'est l'un des préceptes gravés sur le fronton du temple de Delphes, que Platon place assez souvent dans la bouche de Socrate. Mais avec Brueghel nous sommes au XVIe siècle.  

Le propos est plutôt de montrer que nul ne peut se connaître. Dans la gravure, on voit un cadre avec NIEMA[N]T. EN. KENT. HE[M]. SELVE[N] (Personne ne se connaît lui-même) et dans la marge inférieure, il est noté : Nul fe cognoift prefque en ce monde icy. (Personne ne se connait en ce bas monde).

A quoi Pieter Brueghel, ou les commanditaires de la gravure, veulent-ils nous faire réfléchir ? 

Sous le dessin, il est écrit deux phrases en latin placées en miroir l'une de l'autre : Nemo non quaerit passim sua commoda, Nemo Non qu[a]erit sese' cunctis in rebus agendis, ] [ Nemo non inhiat privatis undique lucris, Hic trahit, ille trahit, cunctis amor unus habendi est. On peut traduire par : Nul ne cherche son avantage partout, nul ne se cherche dans ce qu'il fait, nul ne cherche partout un gain personnel. ] [ Personne ne convoite les gains privés partout. Chacun tire de son côté, tous participent du même amour.

Des attitudes diverses sont ainsi énoncées et juxtaposées de façon énigmatique.

Dans la marge inférieure se trouvent deux inscriptions en vieux français et en ancien allemand que nous interpréterons librement par :

De par le Monde, tout un chacun se cherche dans les choses et il s'ensuit que plus d'un demeurera perdu.
Tout un chacun tire la couverture à lui. Nul ne se connaitra ainsi, et s'il le comprend, il en tirera force et émerveillement.

On comprend que la recherche de ce que l'on est dans les activités sociales et l'acquisition de biens est vaine. Il faudrait donc chercher ailleurs.  

Sur un bord, on voit en anglais H. COCK. EXCUD. CUM. PRIVILEG vaguement traduisible par : seul le mâle peut éjaculer. Tout ce qui est dessiné renvoie aux activités sociales comme le travail (au travers des outils), les jeux (cartes, damier), et la possession des biens. Par cette écriture placée dans un coin, on passe du coté de la nature et de son déterminisme. Cette affirmation, un peu triviale et par trop évidente, interpelle sur le champ des possibles dans la nature. Rapporté au thème général, on comprend que ceux qui s'en écartent, s'aveuglent, s’illusionnent, vont vers la démesure et donc ne connaissent pas leur véritable condition.

Nombre de philosophies, et toutes les idéologies et les religions prétendent savoir et dicter la bonne manière de se conduire, elles se donnent comme des modes de vie. Les contradictions dans lesquelles la vie humaine est sans cesse prise (le grand Bazard hétéroclite que nous montre Brueghel et que Socrate a bien mis en évidence) ne permettent pas d'avoir des recettes toutes faites.

Le message que nous délivre cette riche gravure est peut être que chacun doit trouver sa propre voie en connaissant la condition humaine du mieux possible, malgré les innombrables obstacles qui s'y opposent.