Écrit par : Jean-Pierre Castel

La science moderne : une révolution physique qui permit la mathématisation du temps

 

On ne peut mathématiser que lorsque l’on a identifié les bons concepts physiques, l’outil mathématique n’intervenant qu’après coup, en vue de leur formalisation et de la description des relations entre les concepts. La mathématisation de la physique était en marche depuis l’époque hellénistique, mais la théorisation du mouvement était restée en panne. C’est la découverte au XVIIe siècle d'un principe physique, le principe d’inertie, qui permit de débloquer la situation, c'est-à-dire de reprendre le processus de mathématisation. C'est grâce aux nouveaux concepts physiques d'inertie et de gravitation que Newton pu enfin résoudre l'énigme du mouvement.

 

Pour citer cet article :

Castel, Jean-Pierre. Révolution scientifique et découverte de nouveaux principes physiques. Philosophie, science et société. 2018. https://philosciences.com/mathematisation-physique-temps.

 

Plan :


1. Une longue évolution de l’Antiquité à la modernité

2. Du mécanisme à la mathématisation

3. L’infini, condition d’émergence de la science moderne ?

4. Un changement de statut des mathématiques ?

5. La mathématisation du temps


 

1. Une longue évolution de l’Antiquité à la modernité

Depuis les débuts de la démarche scientifique en Grèce, l’étude du mouvement représentait la question centrale de la physique. Elle avait d’abord opposé Héraclite à Parménide et Aristote y avait consacré cinq des huit livres de la Physique. Mais ni la science grecque, classique ou hellénistique, ni la science européenne médiévale n’étaient parvenues à proposer une théorie satisfaisante du mouvement. Il fallut attendre Newton et sa dynamique.

Cette « physique moderne » dut remettre en cause l’ensemble de la physique aristotélicienne. Celle-ci était fondée sur 1/ l’immobilité de la Terre et la séparation entre les mondes sub-et supralunaire, 2/ l’impossibilité de la mathématisation de la physique terrestre du fait de l’impermanence du monde sublunaire, 3/ l’attribution à tout mouvement d’un moteur, 4/ l'hypothèse d'un monde fini, plein, continu.

Depuis Descartes, c’est par la levée de l’interdit, autrement dit par la mathématisation de la physique, que la plupart des philosophes et historiens des sciences caractérisent la science moderne.

Alexandre Koyré est souvent considéré comme le porte-parole de cette thèse. De fait, Kepler avait mathématisé la cinématique céleste, Galilée la cinématique de la chute des corps, et Newton avait intégré ces résultats dans une dynamique illustrée par la fameuse formule F=MΓ.

Pourtant, la partie 2/ rend-elle bien compte du tout (de 1 à 4) ? D’autant que c’est dès l’époque hellénistique que l’interdit de la mathématisation du monde sublunaire avait été levé. Est-ce alors une nouvelle mathématique qui distingue les Modernes des Anciens ? Est-ce un nouveau rapport entre les mathématiques et la nature ?

Ce dont les Anciens avaient manqué, n’est-ce pas plutôt de nouveaux concepts et principes purement physiques, c’est-à-dire ne découlant d’aucune nécessité logique ou mathématique, mais de l’observation et de l’expérience ? On développera les réponses suivantes :

La science grecque ne s’est pas arrêtée à Aristote 1 . Dès après lui, la science hellénistique chercha à mathématiser la physique, tant terrestre que céleste : la statique avec Archimède, l’optique avec Euclide et Ptolémée ; elle échoua cependant à mathématiser la dynamique ; puis elle tomba dans l’oubli 2 , d’abord avec la chute des royautés hellénistiques, puis avec la stigmatisation de la libido sciendi dans les premiers siècles du christianisme.

La science européenne repartit au XIIIe siècle sur les bases d’Aristote, d’Euclide et de la science arabe, puis d’Archimède à partir du XVIe siècle. Ce qui au XVIIe siècle débloqua la mathématisation du mouvement, ce n’est pas tant la redécouverte de la possibilité de mathématiser la nature – actée à la Renaissance 3 , voire déjà au Moyen Âge 4 –, que la découverte de nouveaux principes purement physiques, inconnus des Anciens. On mettra dans cet article l’accent plus particulièrement sur le principe d’inertie : celui-ci invalidait la conception aristotélicienne du mouvement comme processus animé par un mouvement extérieur, il récusait la relation aritotélicienne entre force et vitesse, il proposait un étalon pour l'introduction du temps comme variable du mouvement, c'est-à-dire pour la mathématisation du temps.

Or, contrairement aux thèses de Koyré 5 , Galilée était arrivé au principe d’inertie par des expériences bien réelles : c’est la mesure expérimentale des variations de vitesse en fonction de l’inclinaison de plans sur lesquels il faisait rouler des boules – accélération à la descente, décélération à la montée – qui l’amena à conclure que la variation de vitesse est proportionnelle au temps (c’est la loi de la chute des corps), et qu’elle s’annule sur un plan horizontal (c’est le principe d’inertie) 6 . N’en déplaise à Koyré, le principe d’inertie peut d’autant moins résulter d’une expérience de pensée qu’il ne correspond à aucune nécessité mathématique, ni même logique.

2. Du mécanisme à la mathématisation

Le mécanicisme est né en Grèce

Depuis Thalès, Anaximandre, et Anaximène, la démarche scientifique 7 conçoit la nature comme une réalité intelligible, ordonnée et cohérente, selon un ordre qui obéit à des règles impersonnelles, non intentionnelles, par opposition aux intentions contingentes attribuées à des puissance divines, surnaturelles ou magiques, ou encore à une finalité métaphysique : en langage moderne, une approche mécaniciste et non finaliste, fondée sur la notion qui ne sera désignée que bien plus tard sous le nom de « loi de la nature ».

Aristote opposa pourtant « la mécanique », qui traitait du fonctionnement des machines, des artefacts, à la « philosophie naturelle », qui traitait du fonctionnement de la nature : celle-ci était supposée obéir à des lois « immanentes », celle-là à des lois « extérieures ».

La suite a montré que les lois que suivent les machines ne sont autres que les lois de la nature : dispositif conçu par l’homme dans le but de canaliser celles-ci, une machine bride certaines d’entre elles pour en isoler d’autres, réduisant ainsi le nombre de degrés de liberté, en général grand dans les entités naturelles (globe terrestre, organisme vivant, atmosphère, etc.).

Un exemple simple en est la balance, une machine mue par la pesanteur, une loi de la nature, mais dont le fléau, par construction, ne peut fléchir que dans un plan fixe, et selon des angles limités ; de la balance, appareil de mesure de la statique, on passera à l’horloge, quand l’heure de la dynamique sera venue 8 .

Aussi la séparation mécanique/physique est-elle rapidement apparue factice aux successeurs d’Aristote, les savants de la période hellénistique. À laquelle des deux disciplines, la « mécanique » ou la « philosophie naturelle », rattacher par exemple le principe d’Archimède ? D’une manière plus générale, toute expérience scientifique, qui vise à isoler tel ou tel facteur, n’est-elle pas de nature mécanique ?

La réduction de la complexité, préalable à la mathématisation

Aristote adhérait à l’idée d’intelligibilité du cosmos, mais il considérait la mathématisation de la physique terrestre comme inaccessible en raison du caractère fluctuant, changeant, corruptible du monde « sublunaire ». De fait, « une science est d’autant plus difficilement mathématisable qu’elle s’occupe d’objets compliqués », explique Jean-Marc Lévy-Leblond 9 , qui poursuit : pour qu’un objet soit mathématisable, « il faut qu’il soit vraiment minimal, que la réalité concrète ou l’idée abstraite dont on est parti ait été épurée, que l’objet de départ ait été privé de toute une série de qualités ».

En réduisant la complexité, le mécanicisme ouvrait la voie à la mathématisation. Si les Grecs avaient commencé par mathématiser « la mécanique céleste », ce n’est pas seulement parce que le monde « supralunaire » était plus divin que le monde « sublunaire », mais parce qu’il paraissait moins compliqué, vu l’absence de frottement dans le vide interstellaire et l’effacement des détails des corps célestes par la distance qui les sépare de la Terre. Les mathématiques utilisées se limitaient à la géométrie, puis, à partir d’Hipparque, à la trigonométrie.

Euclide, l’un des premiers grands savants de la période hellénistique, joua un rôle déterminant dans le développement des mathématiques en tant que méthode hypothético-déductive. À sa suite, les mathématiques, déjà utilisées en astronomie par Eudoxe, contemporain d’Aristote, devinrent le langage privilégié pour la recherche et l’écriture des lois de la nature, tant terrestres comme chez Euclide (l’optique), Archimède (la statique), Héron (la mécanique), que célestes comme chez Aristarque et Hipparque (l’astronomie).

En développant le concept de centre de gravité, Archimède simplifia le problème du mouvement, réduisant le corps à un point et à un paramètre, sa masse (plus tard, pour les forces autres que la gravité, on inventera les charges, électrique ou autres). Il réussit ainsi à mathématiser la statique terrestre, découvrit le principe mécanique du levier et le principe hydrostatique qui porte son nom. Les mathématiques nécessaires ne se limitaient d’ailleurs pas à la géométrie et à l’arithmétique : la détermination du centre de gravité le conduisit à développer une première approche du calcul intégral (la méthode par exhaustion).

S’il fut conscient des insuffisances de la dynamique d’Aristote 10, Archimède échoua cependant à élaborer une nouvelle théorie du mouvement. La statique se limitait aux états (les équilibres), et ne traitait un mouvement que comme succession d’équilibres. Archimède avait simplifié la caractérisation du corps, pas encore celle du mouvement : il n’avait pas encore découvert le principe d’inertie, ni élaboré les concepts permettant de caractériser le mouvement : vitesse moyenne, vitesse instantanée, accélération 11.

Galilée archimédien

Galilée, « le meilleur élève d’Archimède » 12, reprit la physique là où Archimède, Apollonius, Euclide l’avaient laissée 13. Galilée se réfère souvent au « divin Archimède » 14, il « prit appui sur la statique et l’hydrostatique mathématisées d’Archimède » 15. Sa physique sera qualifiée d’« archimédienne » 16 par Alexandre Koyré 17, Maurice Clavelin 18, Jean-Marc Lévy-Leblond 19. Koyré a considéré la science moderne comme « la revanche de Platon » sur Aristote 20.

La science moderne, qui prend le réel à bras le corps, apparaît comme la revanche d’Archimède bien plus que de Platon, qui ne s'intéressait pas tant à la réalité physique qu'au monde des Idées.

Sans doute le principe d’inertie, qui consiste à admettre qu’en l’absence de toute force extérieure un mouvement se poursuivrait sans s’arrêter, résulte-t-il d’une extrapolation, d’un passage à la limite, d’une idéalisation.

Mais le remplacement d’une situation réelle par son épure idéalisée remonte à l’origine même de la démarche scientifique. Poser une équation en physique, ne serait-ce que celle de la poussée d’Archimède, c’est toujours extrapoler à partir d’une égalité seulement approchée, constatée sur un nombre fini d’observations ou d’expériences.

3. L’infini, condition d’émergence de la science moderne?

Du monde clos à l’univers infini

Dans le contexte du développement de la théologie scolastique, et en particulier de la Toute-Puissance divine, la connotation de l’infini, de négative qu’elle était dans l’Antiquité, était devenue positive à partir du Moyen Âge. Comme nombre de philosophes avant et après lui, Koyré, dans son célèbre livre Du monde clos à l’univers infini, voit dans ce renversement de la valorisation de l’infini une condition de possibilité de l’émergence de la science moderne.

L’infini métaphysique de la théologie doit toutefois être distingué de l’infini cosmologique, et a fortiori de l’infini mathématique. Ce n’est en effet pas l’infinité de l’univers que découvrit la « science moderne » 21, mais seulement son immensité.

Plus que les considérations métaphysiques – autant d’ailleurs néoplatoniciennes et hermétiques que chrétiennes –, ce furent des observations astronomiques qui conduisirent à la prise de conscience de cette augmentation de dimension :

- ce furent l’écart entre les observations et les prédictions astronomiques, les irrégularités apparentes du mouvement des astres (par exemple les phénomènes de rétrogradation), ainsi que le caractère artificiel, ad hoc, et compliqué du modèle de Ptolémée, qui avaient amené Copernic à remettre en cause le géocentrisme – après bien d’autres 22, mais Copernic fut celui qui développa le modèle héliocentrique le plus complet – ;

- c’est notamment parce que l’héliocentrisme impliquait un univers beaucoup plus vaste (mais non pas infini) qu’il avait jusque là été rejeté. Ce qui l’accrédita à partir du XVIIe siècle, ce furent les découvertes astronomiques : grâce à sa lunette, Galilée découvrit que la Voie Lactée n’est « pas une énigmatique traînée lumineuse, mais un amas d’étoiles innombrables, s’étendant à perte de vue » 23 ; les observations par Tycho Brahé d’une comète et d’une supernova plaidèrent elles aussi pour cette inflation des dimensions de l'Univers.

Copernic et Kepler restèrent néanmoins finitistes, Galilée hésita 24. Newton opta pour un univers infini, mais la dynamique newtonienne n’a pas besoin de l’infiniment grand, du moins en acte. L’infiniment grand reste d’ailleurs une singularité devant laquelle la physique s’arrête 25, et l’infini cosmologique demeure aujourd’hui une question ouverte 26.

Quant à l’infini mathématique, il se décompose en deux sous-problèmes distincts :

- l’infiniment petit, intimement lié au problème du continu 27, et donc du mouvement,

- l’infiniment grand, qui débouchera avec Cantor sur les nombres transfinis ; purement mathématiques, ces nombres n’ont pas d’application en physique 28.

L’infini de la physique : l’infiniment petit plus que l’infiniment grand

Le problème du mouvement est intimement lié à celui de la continuité et, par là, à celui de l’infiniment petit.

Le problème mathématique du continu, s’était manifesté dès le VIe siècle avec la découverte par Pythagore des nombres irrationnels, puis avec les paradoxes de Zénon 29, portant précisément sur le mouvement (Achille et la tortue). La résolution du problème du continu allait accompagner le développement des concepts de vitesse instantanée et d’accélération ; le chemin allait être long, il ne se terminera qu’au XIXe siècle.

Il débuta au IVe siècle avec la théorie générale des rapports d’Eudoxe et d’Euclide, puis avec la méthode d’exhaustion d’Archimède. Celle-ci sera poursuivie dans le monde arabe, notamment avec Thabit ibn Qurra (826- 901) et Al-Hazen (965–1039).

Au Moyen Âge, ceux qu’on désignera comme les Calculateurs d’Oxford et de Paris 30 reprirent les réflexions sur l’infini, ébauchèrent les notions de fonction, de représentation graphique, de vitesse, voire de série infinie (ces sommes infinies d'infiniment petits). Mais, commente René Taton, « les temps n’étaient pas mûrs, car la compréhension d’Archimède supposait l’acquisition préalable d’une culture mathématique dont le niveau ne sera progressivement atteint qu’à partir du XVIe siècle » 31.

Ce n’est en effet qu’au XVIe siècle que, traduites et diffusées par l’imprimerie, les œuvres d’Archimède commencèrent à être l’objet d’études approfondies. Au XVIIe siècle, Cavalieri (1598-1647), élève de Galilée, développa la méthode des indivisibles, « une sorte de mise à jour de l’œuvre d’Archimède » 32. Une particularité du mouvement uniformément accéléré 33 permit à Galilée de mesurer la vitesse instantanée sans avoir recours à une procédure infinitésimale.

Les travaux de Fermat et de Descartes sur la tangente à une courbe (un problème déjà étudié par Archimède), et ceux de Neper sur les logarithmes (dont l’idée est présente chez Archimède 34), représentèrent les dernières étapes sur le chemin qui allait mener, avec Newton et Leibniz, au calcul infinitésimal – du moins à sa pratique, car la théorie mathématique rigoureuse attendra le XIXe siècle, avec Bolzano, Cauchy, Weierstrass 35.

Le calcul infinitésimal apparaît ainsi comme l’aboutissement d’un long cheminement engagé depuis Euclide (proportions d’Euclide, exhaustion d’Archimède, indivisibles de Cavalieri). C’est l’étude galiléenne du mouvement, et en particulier le développement du concept de vitesse instantanée, qui motiva la dernière étape 36.

4. Un changement de statut des mathématiques ?

Au fur et à mesure de son développement, la physique eut besoin d’outils mathématiques de plus en plus sophistiqués : la statique d’Archimède s’exprimait avec des équations du premier degré ; la loi de la chute des corps de Galilée nécessita le second degré 37 ; au XVIIe siècle, la dynamique newtonienne fit appel au calcul infinitésimal et à la géométrie analytique 38 ; au XIXe, l’électromagnétisme recourut aux équations aux dérivées partielles ; au XXe, la relativité générale d’Einstein utilisa la géométrie riemannienne et le calcul tensoriel, et la mécanique quantique de Bohr et Heisenberg, le calcul matriciel.

Mais en ce qui concerne Copernic, Galilée et Kepler, leurs mathématiques étaient restées bien inférieures à celles d’Archimède : « un abîme séparait encore les mathématiques européennes de la fin du XVIe siècle de leur modèle antique », souligne René Taton 39.

« Sauver les apparences » ou « expliquer le réel » ?

Opposer la mathématisation des Anciens à celle des Modernes, au prétexte que les premiers n’auraient cherché qu’à « sauver les apparences » 40, relève du déni par rapport à la physique hellénistique. Celle-ci avait en effet développé la méthode hypothético-déductive, comme l’illustrent la statique d’Archimède, l’optique d’Euclide, les tentatives de dynamique d’Hipparque 41. Archimède n’était pas une exception isolée dans une époque de décadence scientifique, comme on l’entend dire encore souvent aujourd’hui 42.

L’affirmation selon laquelle les Anciens se limitaient à « une idéalisation rationnelle de la perception naïve » 43, alors que les Modernes se livreraient à une critique de la réalité perçue, relève également de la contre-vérité, démentie déjà par Anaximandre (VIe siècle av. J.-C.), qui argumentait, contre l’intuition naïve, que la Terre n’était pas plate et qu’elle flottait dans l’espace.

Au-delà d’un langage ?

Pour d’autres auteurs, c’est le statut des mathématiques qui se serait transformé au XVIIe siècle : de simple langage 44, il serait devenu structure, substance, essence, ontologie de la nature. Descartes alla jusqu’à identifier les objets de la géométrie à la matière elle-même. Pour Alexandre Koyré, l’essence de la science moderne consistait en une « ontologie mathématique de la nature » 45.

Pourtant, lorsque Galilée écrit que « le livre de la nature [...] est écrit en langage mathématique » 46, il n’assigne aux mathématiques qu’un rôle de langage, fût-il divin. Sa conception de la physique reste instrumentale, « archimédienne » au sens où elle déploie une méthode quantitative, déductive et abstraite, où elle s’efforce d’isoler les phénomènes, où elle se base sur des concepts physiques élaborés à partir de l’observation du réel et de l’expérimentation.

Dès son premier texte, Galilée affirme que « la mathématique ne se substitue jamais à la réalité, comme on l’à prétendu ; elle permet seulement de l’exprimer sans ambiguïté et d’en fournir une représentation toujours perfectible, parce que toujours confrontée avec l’expérience » 47. « La méthode scientifique de Galilée, c’est d’abord la règle de subordination à l’évidence empirique », renchérit Dominique Dubarle 48. De fait, recourir aux mathématiques, c’est utiliser un langage rigoureux et universel, qui permette de limiter les risques d’imprécision, de polysémie et d’interprétation. Les mathématiques offrent également un système de déduction logique, une capacité de modélisation hypothético-déductive, une symbolique, un formalisme.

Depuis les débuts de la science hellénistique, les mathématiques ont ainsi participé à l’élaboration des concepts physiques et à la formalisation des relations qui les unissent. Mais l’origine des concepts physiques ne leur appartient pas : les mathématiques ne sont pas plus la physique que les mots ne sont la pensée. La construction d’un concept physique part de l’expérience d’une réalité éprouvée, pour soumettre ensuite celle-ci au filtre de la pensée, d’abord rationnelle, critique, puis finalement, quand cela s’avère possible, mathématique.

À titre d’exemple, la notion physique de la vitesse a préfiguré le concept mathématique de dérivée : « C’est l’étude [...] de la chute des corps qui a conduit [par l’élaboration du concept de vitesse instantanée] à ce formidable bouleversement que furent les infinitésimaux » peut ainsi dire un historien des mathématiques 49. « Un concept physique n’est pas un concept mathématique plus “autre chose”, souligne Jean-Marc Leblond. Le concept mathématique n’est ni un squelette auquel la physique prête chair, ni une forme abstraite que la physique emplirait d’un contenu concret : il est essentiel de penser le rapport des mathématiques à la physique en termes dynamiques » 50.

Ce rôle d’aide à la conceptualisation, Archimède l’illustre quand il développe les notions de centre de gravité et de masse volumique, Newton quand il parvient à la définition moderne de la force et de la masse 51. Ce qui conditionne la réussite de la mathématisation, c’est la découverte des bons concepts physiques – inertie, vitesse instantanée et accélération pour la dynamique, champs pour l’électromagnétisme, etc. –, c’est-à-dire ceux qui permettent de dépasser la complexité apparente des phénomènes pour permettre l’application des mathématiques.

Faute de pouvoir atteindre un niveau de simplification suffisant, une science, même exacte comme la biologie moléculaire, reste non mathématisable. Jean-Marc Lévy-Leblond préfère d’ailleurs « inverser la question de l’irraisonnable efficacité des mathématiques en physique » 52 pour définir la physique comme « précisément le domaine où les mathématiques ont cette efficacité » 53.

Un divorce d’avec l’intuition ?

D’autres auteurs critiquent le divorce croissant de la physique moderne avec l’intuition courante, sa résignation au « comment » plutôt qu’au « pourquoi ». On parlera à ce propos de « la crise de la science moderne ». Pourtant, cette résignation et ce divorce sont consubstantiels à la démarche scientifique depuis que les Ioniens ont renoncé au finalisme et depuis qu’Anaximandre a plaidé que la Terre n’était pas plate.

Si l’intuition ordinaire a pu aujourd’hui s’approprier le principe d’inertie et la gravitation, la relativité et la physique quantique représentent des défis sans doute plus difficiles. Contrepartie du processus de simplification/abstraction nécessaire à la mathématisation, ce divorce ne peut vraisemblablement que s’approfondir, sauf familiarisation de notre intuition au fil du temps avec les nouveaux concepts.

5. La mathématisation du temps

Décisif fut le jour où Galilée décida de passer de la variable espace à la variable temps 54. Prendre le temps comme variable, c'était mathématiser le temps. Le mouvement inertiel lui fournit un étalon pour la construction d’un temps uniforme et continu, la continuité du temps pouvant être assimilée à celle de l’espace. Les nouveaux concepts, principe d'inertie, variable temps, vitesse instantanée, permirent de résoudre ensemble le problème du continu, par le calcul infinitésimal, et du mouvement, par la dynamique newtonienne. La double énigme, qui avait tant troublé les Grecs, du problème physique du mouvement et du problème mathématique du continu, était enfin résolue.

Euclide avait mathématisé l’espace, Archimède la matière (la statique), Galilée mathématisa le temps : Euclide en structurant la géométrie, Archimède en identifiant un corps de forme quelconque à son centre de gravité et à sa masse, Galilée en prenant le temps comme variable. On peut d’ailleurs poursuivre le parallèle : avec la théorie des proportions, Euclide avait construit la première approche mathématique du continu, avec le concept de centre de gravité, Archimède celle de l’intégration, avec la notion de vitesse instantanée, Galilée celle de la dérivation ‒ intégration et dérivation, les deux opérations mathématiques inverses l’une de l’autre, au cœur du calcul infinitésimal, c’est-à-dire du problème du continu.

 

Notes :

1. D’ailleurs, déjà sous Aristote, les « sciences mixtes » sublunaires, c’est-à-dire l’optique, l’harmonique, la mécanique (la science des machines), étaient subordonnées aux mathématiques.

2. Rappelons que moins de 10 % des œuvres grecques sont parvenues jusqu’à nous, toutes époques confondues (cf. par exemple Michael H. HARRIS, History of libraries in the western world, London : Scarecrow, 2000). Ce taux est encore très inférieur pour la période hellénistique. Il est en revanche de 100 % pour Platon, figure chérie du christianisme.

3. Avec la redécouverte de traités d’Archimède et les travaux Léonard de Vinci, Tartaglia, Benedetti, Guidobaldo.

4. Notamment avec les Calculateurs d’Oxford et avec Nicolas Oresme à Paris.

5. L’inutilité de l’expérience est un thème qui parcourt toute l’œuvre d’Alexandre Koyré, cf. par exemple les Études galiléennes, 1939 (rééd. Paris, Hermann 2001, p. 226-237), les Études d’histoire de la pensée scientifique, Paris, Gallimard, 1973, pp. 210-211, 289-314.

6. Cf. par exemple Galileo GALILEI, Discorsi e Dimonstrazioni matematiche intorno a due scienze attenanti alla mecanica ed i movimenti locali, 1638, di Galileo Galilei, UTET, Classici della Scienza, 1980, chapitre Scienzia nuova altra, de i movimenti locali, cioè dell’equabile, del naturalmente accelerato. Giornata terza (trad. fr. par Maurice Clavelin. Discours et démonstrations concernant deux sciences nouvelles, Troisième journée, Paris, Puf, 1995, chapitre III, p. 244).

7. Il ne s’agissait pourtant pas encore de la science hypothético-déductive, expérimentale et mathématisée telle qu’elle le deviendra à partir de la période hellénistique, mais déjà d’une analyse purement rationnelle.

8. Descartes prendra l’exemple des horloges : « Je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose. [...] Et il est certain que toutes les règles des Méchaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles. Car, par exemple, quand une montre marque les heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu’il est à un arbre de produire ses fruits. C’est pourquoi, en même façon qu’un horloger, en voyant une montre qu’il n’a point faite, peut ordinairement juger, de quelques parties qu’il regarde, quelles sont toutes les autres qu’il ne voit pas, ainsi en considérant les effets et les parties sensibles des corps naturels, j’ai tâché de connaître quelles doivent être celles de leurs parties qui sont insensibles » (Principes de la Philosophie, IV, art. 203, AT IX-2, p. 321-322).

9. « Les mathématiques de/dans la physique », Entretien avec Jean-Marc LÉVY-LEBLOND, Rue Descartes, 74,(2), 62-80, 2012.

10. Cf. par exemple Charles MUGLER, « Archimède répliquant à Aristote », In Revue des Études Grecques, tome 64, fascicule 299-301, janvier-juin 1951.

11. Cette élaboration sera amorcée au XIVe siècle par les Calculateurs d’Oxford (cf. note 30), et achevée seulement à la fin du XVIIe siècle avec Pierre Varignon. On notera qu’une comparaison qualitative des vitesses était déjà présente chez Aristote. Straton expliquera le fractionnement d’une chute d’eau par l’augmentation de la vitesse, premier témoignage de la notion d’accélération.

12. Mario LIVIO, Dieu est-il mathématicien ?, Paris, Odile Jacob, 2016.

13. Cf. G. GALILEI, Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze, Giornata terza. PUF 1995, p. 202.

14. Les premiers textes d’Archimède furent traduits en latin au XIIe siècle (de l’arabe, par Gérard de Crémone), puis au XVIe siècle.

15. Maurice CLAVELIN, La Philosophie naturelle de Galilée, Paris, Albin Michel, 1996, p. 148. 16. Cf. le § Au-delà d’un langage, deuxième alinéa.

17. Alexandre KOYRÉ, « À l’aube de la science classique » (1935-1936), Études galiléennes (1966), Paris, Hermann, 2001, pp. 78-79.

18. M. CLAVELIN, La Philosophie naturelle de Galilée, p. 127.

19. Jean-Marc LÉVY-LEBLOND, « Galilée, de l’Enfer de Dante au purgatoire de la science », Philosophia Scientiæ, 2017/1.

20. A. KOYRÉ, « Du monde de l’à-peu-près à l’univers de la précision », paru dans Critique no 28 en 1948, et Études d’histoire de la pensée philosophique, 1re édition en 1961, Paris, Gallimard, 1995, p. 342-343 et 262. Il va ailleurs jusqu’à parler du « platonicien Archimède », in A. Koyré, « À l’aube de la science classique » (1935-1936), Études galiléennes, p. 79. On peut bien entendu discerner dans les multiples tendances du platonisme l’affirmation selon laquelle la physique est mathématique et l’invitation à recourir à des instruments et à des raisonnements mécaniques, cf. Antoinette VIRIEUX-REYMOND, « Le platonisme d’Archimède », Revue Philosophique de la France et de l’Étranger, tome 169, no 2 (avril-juin 1979), p. 189-192, et aussi Jean-Louis GARDIES, « La méthode mécanique et le platonisme d’Archimède », Revue Philosophique de la France et de l’Étranger, t. 170, no 1 (janvier-mars 1980), p. 39-43.

21. « Le postulat fondamental de la science moderne (l’infinité de l’univers)... » in Jan MAREJKO, Dix méditations sur l’espace et le mouvement, L’âge d’homme, 1994.

22. L’idée héliocentrique a en effet une longue histoire : la première mention s’en trouve dans les textes védiques (IX/VIIIe siècle av. J.-C.), elle fut évoquée par de nombreux penseurs grecs à partir du Ve siècle av. J.-C. (en particulier Aristarque de Samos, IVe siècle av. J.-C.), en Inde par Âryabhata (VIe siècle ap. J.-C.) et Bha¯skara (XIIe siècle), dans le monde arabe par Al-Bı¯ru¯ nı¯ (XIe siècle) et Nasir al-Din al-Tusi (XIIIe siècle), et en Europe par de nombreux penseurs du Moyen Âge (Buridan, Oresme) et de la Renaissance (de Cues, Léonard de Vinci).

23. M. CLAVELIN, Galilée, cosmologie et science du mouvement, Paris, CNRS Éditions, 2016, p. 177.

24. « L’univers galiléen est un univers fini » (A. KOYRÉ, Études galiléennes, p. 257-258). Koyré suggère ailleurs qu’il pouvait s’agir d’une prudence plus que d’une croyance.

25. Par exemple : « La formulation du principe d’inertie ne suppose en rien l’existence d’un espace actuellement infini », in « Découvrir le principe d’inertie ». Sophie Roux, Recherches sur la philosophie et le langage, 2006, 24, pp. 453-515, note 23. Ainsi, il est faux d’affirmer, comme le fait Michel Blay : « La construction d’une science du mouvement [...] est assujettie à l’existence de [l’] infini réel » (Dieu, la nature et l’homme. L’originalité occidentale, Paris, A. Colin, 2013).

26. Avec la relativité générale, la question renvoie à celle de la courbure de l’espace-temps, une courbure positive pouvant induire un univers fini.

27. Le continu implique des grandeurs infiniment petites dont le nombre peut être, lui, infiniment grand.

28. Quand on dit qu’une grandeur physique tend vers l’infini, il s’agit d’un infini en puissance, car ladite grandeur physique ne prend que des valeurs finies (on dit que la suite de réels finis xn tend vers l’infini si quel que soit A, il existe N tel que si n est supérieur à N, alors xn est supérieur à A).

29. L’un des paradoxes centraux de l’étude du mouvement, le paradoxe d’Achille et de la tortue, sera résolu par la théorie des séries, ces suites infinies de nombres de plus en plus petits dont la somme, dans certaines conditions, converge vers un nombre fini : les prémisses en apparaissent chez Archimède (les séries géométriques), chez Héron d’Alexandrie, puis au XIVe siècle chez Richard Swineshead et Nicolas Oresme (divergence de la série harmonique). C’est le concept de limite qui permettra d’en établir la théorie rigoureuse.

30. En particulier Thomas Bradwardine, Richard Swineshead, Nicole Oresme, Albert de Saxe. 31. René TATON, « Calcul Infinitésimal – Histoire », Encyclopédie universelle.

32. De nombreux commentateurs, dont Pascal, estimeront que « la Geometria indivisibilibus continuorum nova quadam ratione promota de Cavalieri équivaut, en réalité, à celle d’Archimède et que chaque démonstration donnée dans le langage intuitif des indivisibles peut, au prix de quelques changements, être transposée sous une forme rigoureuse, mais lourde, à la mode archimédienne ». D’après René TATON, Id.

33. La loi de la chute des corps se résume à ce que la vitesse instantanée est proportionnelle au temps. Galilée n’avait aucun moyen de mesurer ni de calculer directement la vitesse instantanée, mais dans le mouvement uniformément accéléré, tant la vitesse moyenne que la vitesse instantanée sont proportionnelles au temps (règle de Merton, du nom du collège des Calculateurs d’Oxford, reprise par Galilée comme théorème I du mouvement accéléré) : il lui suffit de mesurer la vitesse moyenne pour en déduire la vitesse instantanée (égale au double de la vitesse moyenne).

34. Lucio RUSSO : « That writing numbers as powers of the same base allows the reduction of time-consuming operations to easier operations on exponents is lucidly explained in Archimedes’ Arenarius », The Forgotten Revolution : How Science Was Born in 300 BC and Why It Had to Be Reborn, Berlin, Springer, 2004, p. 386, et note 180. 35. Avec l’élaboration du concept mathématique de limite, qui permit de dépasser l’opposition aristotélicienne entre infini en puissance et en acte.

36. Salomon OFMAN, « Mouvement & origine du calcul infinitésimal : théorisation du mouvement et infinitésimaux », La Matematica nella Societa e nella Cultura-Rivista dell’Unione Matematica Italiana, 2008, 1 (1), p. 555-587. Cf. aussi Émile MEYERSON, Identité et réalité, p. 165, M. CLAVELIN, « Le problème du continu et les paradoxes de l’infini chez Galilée », Thalès, vol. 10, 1959, p. 1-26.

37. Connues depuis Apollonius, IIIe siècle av. J.-C., voire même chez les Mésopotamiens.

38. Développée par Descartes à partir de l’algèbre de Viète. Dans l’Antiquité, Apollonius, et au Moyen Âge, Nicolas Oresme avaient déjà ébauché les coordonnées qu’on appellera cartésiennes. 39. René TATON, « Calcul Infinitésimal – Histoire », Encyclopédie universelle.

40. C’est-à-dire, d’après Jean LASSÈGUE in « La méthode expérimentale, la modélisation informatique et l’intelligence artificielle », Intellectica 1996, 2, 22 : « trouver une forme mathématique susceptible de décrire les phénomènes tels qu’ils sont perçus ».

41. Cf. Lucio RUSSO, « The Astronomy of Hipparchus and His Time : A Study Based on Pre-Ptolemaic Sources », Vistas in Astronomy 38 (1994), p. 207-248. 42. Parmi les grands noms de la science hellénistique, citons Straton, Euclide, Aristarque de Samos, Hérophile de Chalcédoine, Ctésibios, Ératosthène, Apollonius, Hipparque, Séleucos de Séleucie, Posidonius, Héron d’Alexandrie, Menelaos, Pappus d’Alexandrie, Galien. Sur les accomplissements de la science hellénistique, cf. par exemple Lucio RUSSO, The Forgotten Revolution : How Science Was Born in 300 BC and Why It Had to Be Reborn, Berlin, Springer, 2004.

43. Dominique DUBARLE, « La méthode scientifique de Galilée », in Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, tome 18, no 2, 1965. pp. 161-192. 44. Cf. J.-M. LÉVY-LEBLOND, « Physique – Physique et mathématique », Encyclopædia Universalis.

45. A. KOYRÉ, « Les origines de la science moderne », in Études d’histoire de la pensée scientifique, Paris, Gallimard, 1973.

46. G. GALILEI, Il Saggiatore, 1623, G. Barbèra, 1864, p. 60 (trad. fr. Christiane Chauviré, L’essayeur de Galilée, Paris, Belles-Lettres, 1980, p. 141).

47. Émile NAMER, « Le traité de “La balance hydrostatique” de Galilée », Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, tome 17, no 4, 1964, p. 397-403.

48. Dominique DUBARLE, « La méthode scientifique de Galilée », Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, tome 18, no 2, 1965, p. 161-192.

49. Salomon OFMAN : historien et philosophe des mathématiques, Institut mathématique de Jussieu-PRG, cf. note 36.

50. Jean-Marc LÉVY-LEBLOND, « Physique – Physique et mathématique », Encyclopædia Universalis.

51. Cf. Damien GIVRY, « Le concept de masse en physique : quelques pistes à propos des conceptions et des obstacles », Didaskalia (Paris), Institut national de recherche pédagogique, 2003, 22, p. 41-67.

52. Cf. Eugen WIGNER, The Unreasonable Effectiveness of Mathematics in the Natural Sciences, 1940. Cf. aussi, du même auteur et sous le même titre (en français), Rue Descartes, vol. 74, no 2, 2012, p. 99-116

53. « Les mathématiques de/dans la physique », Entretien avec Jean-Marc LÉVY-LEBLOND, Rue Descartes, 74(2), 62-80, 2012. Cf. J. LACAN : « Le progrès de l’efficacité de la saisie symbolique ne cesse pas d’étendre son domaine depuis Galilée, de consumer autour d’elle toute référence qui la limite à des données intuitives, et, en laissant leur plein jeu aux signifiants, aboutit à cette science dont les lois vont toujours vers une plus grande cohérence, mais sans que rien soit moins motivé que ce qui existe à aucun point en particulier » (L’éthique de la psychanalyse, 1960, p. 147).

54. Pour l’étude de la chute des corps, Galilée avait d'abord, comme tous ses prédécesseurs, pris comme variable la distance parcourue, postulant sa proportionnalité avec la vitesse. Les résultats d'observation l'obligèrent à abandonner cette hypothèse, et à imaginer prendre comme variable non plus la distance, mais le temps, ce qui lui permit de découvrir que la vitesse était proportionnelle au temps.

 

Cet article est une version remaniée de « Science Moderne, Principe d'Inertie et Mathématisation » publié dans la Revue de Philosophie des Éditions de Minuit.

 

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