Revue philosophique

Selon certains, il y aurait une incompatibilité entre humanisme et psychopathologie. Je cite cette opinion formulée par un lecteur de Philosophie, science et société :

« il y a incompatibilité dans la mesure où l’humanisme fait référence à un principe idéologique et la psychopathologie à une démarche scientifique. Un scientifique peut être humaniste mais une science, par définition, est a-idéologique et se contente de décrire et tenter d’expliquer selon la méthode expérimentale les phénomènes qu’elle observe, et de prévoir à l’aide des statistiques les phénomènes observés et non encore observés qui découlent logiquement de sa théorie explicative ».

On peut être d’accord avec cet interlocuteur concernant la nécessité de bien distinguer science et idéologie. Mais, le problème de la relation entre humanisme et psychopathologie ne se réduit pas à cet aspect, car la psychopathologie concerne des humains, pas des choses inertes. Et de plus c'est une connaissance appliquée, ce qui modifie le problème.

On peut facilement rétorquer à ce contradicteur que la psychopathologie étant une connaissance appliquée, comme toute action pratique concernant l'homme, elle demande une éthique pour se guider. Dans la mesure où l’humanisme prône que les individus humains doivent être respectés, l’humanisme semble intéressant pour la psychopathologie dans ses aspects pratiques.

Mais, il y a plus, voyons pourquoi.

L’humanisme est un mouvement intellectuel, apparu d’abord en Italie, qui s’est propagé à la France aux XVe et XVIe siècles. Au sens philosophique, il est fondé sur une assertion selon laquelle l’homme doit être respecté. Il y a là une assertion qui dépasse l'éthique et concerne aussi la connaissance. 

En premier lieu, se pose donc la question de savoir ce qu’est l’homme. La même question se pose pour la psychopathologie qui s’appuie toujours, qu’elle l’avoue ou pas, sur une conception de l’homme. Il s’ensuit que, selon la conception de l’homme qui sera adoptée, les conséquences seront différentes du point de vue de la théorie comme de la pratique.

L’humanisme est donc aussi un guide utile à titre théorique, car il encourage à prendre en compte la totalité de chaque individu et non des aspects parcellaires. Il s'agit de s'intéresser, si ce n’est à la totalité, du moins à une certaine globalité en psychopathologie, ce qui pousse à se centrer sur la personnalité. Cette dernière est théorisée en termes de structure psychique.

L’humanisme est non seulement compatible, mais congruent avec la psychopathologie. Il indique le véritable objet de cette connaissance qui est l’individu dans son ensemble et non une portion, tout simplement parce que les conduites humaines auxquelles s’intéresse la psychopathologie sont déterminées par l’ensemble de ce qui constitue l’homme, même si parfois elles ont un primum movens plus limité.

Étudier des faits par la méthode expérimentale et selon des procédures statistiques n’est en rien scientifique, en général. Dans les conditions simples et maîtrisables, comme celles de la physique, de la chimie ou de la biologie, c’est la méthode adaptée. Dans des conditions complexes, comme l’étude de l’homme et des sociétés, c’est une méthode désadaptée dans la plupart des cas. La différence de complexité implique une différence de méthode.

Humanisme et psychopathologie sont liés, car le véritable objet de la psychopathologie est l’homme tel qu’il est dans sa complexité. Les conduites humaines auxquelles elle s’intéresse sont déterminées par l’ensemble de ce qui constitue l’homme (la conjonction de facteurs biologiques, psychologiques et sociaux), même si parfois certains aspects sont prépondérants et doivent être privilégiés. De plus, l’intérêt et le sérieux porté à chacun, individuellement, la mise en place d’un espace libre de conflits d’intérêts et protégé des contraintes sociopolitiques donnent à la pratique thérapeutique une dimension que l’on peut qualifier d’humaniste.

Pour en savoir plus, voir l’article : Pour une psychopathologie humaniste.